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La réforme du régime des nullités en droit des sociétés

Le contexte de la réforme​ : Le régime des nullités en droit des sociétés faisait depuis plusieurs années l’objet de nombreuses critiques, tant de la part des praticiens que de la doctrine. Fragmenté entre le Code civil et le Code de commerce, il se caractérisait par une grande complexité, des incertitudes d’interprétation et des risques d’instabilité juridique. L’ordonnance n° 2025-229 du 12 mars 2025 modifiant le régime des nullités en droit des sociétés publiée au Journal officiel le 13 mars 2025, est entrée en vigueur ce 1er octobre 2025

 

Les objectifs poursuivis par la réforme​ : L’ordonnance a pour ambition de « simplifier et clarifier le régime des nullités en droit des sociétés, afin de renforcer la sécurité juridique de la constitution des sociétés, de leurs actes et délibérations ». La réforme tend aussi à harmoniser le droit français avec le droit européen, notamment la directive (UE) 2017/1132, qui prône la limitation des causes de nullité et la proportionnalité des sanctions. Enfin, elle confère au juge une marge d’appréciation accrue, lui permettant d’évaluer la gravité de l’irrégularité et l’opportunité d’une annulation au regard de l’intérêt social.

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Le régime des nullités avant la réforme​ : Avant l’ordonnance du 12 mars 2025, le régime des nullités était divisé entre deux ensembles normatifs : le Code civil, applicable à toutes les sociétés, et le Code de commerce, propre aux sociétés commerciales. L’article 1844-10 du Code civil prévoyait la nullité de la société pour des causes telles que la violation des règles de constitution ou les causes de nullité des contrats en général. En outre, toute clause statutaire contraire à une disposition impérative du Titre IX du Code civil était réputée non écrite. Le Code de commerce, pour sa part, comportait ses propres règles aux articles L.235-1 et suivants, distinguant les nullités affectant la constitution de la société et celles visant les actes ou délibérations sociales.

 

​Les principales modifications apportées par la réforme

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L’ordonnance du 12 mars 2025 supprime d’abord les articles L.235-1 à L.235-14 du Code de commerce, pour regrouper l’ensemble des règles relatives aux nullités dans le Code civil.

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La réforme réduit ensuite drastiquement les causes de nullité de la société. Désormais, seule l’incapacité de tous les fondateurs ou la violation du nombre minimal de deux associés peut permettre d’obtenir la nullité de la société.

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Par ailleurs, l’ordonnance généralise la sanction du « réputé non écrit ». Cette sanction s’étend désormais à toute violation d’une disposition impérative du droit des sociétés, quelle que soit sa source.

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L’une des innovations majeures de la réforme réside dans l’introduction du « triple test », prévu à l’article 1844-12-1 du Code civil. Désormais, une décision sociale ne pourra être annulée que si trois conditions cumulatives sont réunies, mettant fin à l’automaticité de la nullité :

  • Le demandeur doit démontrer un grief résultant d’une atteinte à l’intérêt protégé par la règle violée ;

  • L’irrégularité doit avoir influencé le contenu de la décision ;

  • Et la nullité ne doit pas produire des conséquences manifestement excessives pour l’intérêt social.

 

La réforme précise les effets de la nullité : l’action s’éteint si la cause disparaît avant le jugement (régularisation possible). La nullité de la nomination irrégulière d’un organe n’affecte plus ses décisions, et le juge peut retarder les effets de la nullité si leur rétroactivité serait excessive. Le délai de prescription passe de trois à deux ans pour les actions visant la société, les décisions postérieures à sa constitution ou les apports.

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Pour les sociétés commerciales, plusieurs nullités obligatoires deviennent facultatives et le triple test est parfois écarté. Dans les SAS, le nouvel article L.227-20-1 du Code de commerce. permet aux statuts de prévoir expressément la nullité des décisions contraires à leurs règles. Cette disposition renverse la jurisprudence Larzul II : désormais, la nullité d’une décision pour violation des statuts ne peut être prononcée qu’en présence d’une clause statutaire explicite, renforçant l’exception prévue pour les SAS exclusivement.

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Conclusion​ : En somme, l’ordonnance n° 2025-229 consacre une approche plus souple, plus cohérente et bien plus simple du régime de la nullité en droit des sociétés. En revanche, cette réforme appelle à une vigilance pratique, notamment pour les rédacteurs d’actes et les dirigeants de sociétés. Les statuts de SAS devaient être révisés avant le 1er octobre 2025 afin de déterminer s’il est opportun d’y insérer une clause de nullité statutaire. De même, la réduction du délai de prescription et le triple test imposent une adaptation des stratégies contentieuses.

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Par Adrien DIDIER-LAURENT du pôle Droit Privé général

Cass. Com., 18 juin 2025, n°22-16.781

Par cet arrêt, en application des articles L.225-252 du Code de commerce, 31 et 122 du Code de procédure civile, la Cour de cassation retient que la qualité d’associé, qui permet l’exercice de l’action ut singuli, s’apprécie lors de la demande introductive d’instance. Il en résulte que la perte d’une telle qualité en cours d’instance n’affecte pas la poursuite de l’action par celui qui l’a initiée.

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Faits. Dans l’arrêt soumis à étude, il était question d’un associé ayant engagé pour le compte de sa société une action ut singuli (action sociale) en responsabilité contre l’un de ses dirigeants sur le fondement de l’article L.225-252 du code de commerce, mais qui avait, au cours de l’instance, perdu cette qualité d’associé. 

 

Focus. Bref rappel … Lorsqu’une société est victime d’un préjudice causé par l’un de ses dirigeants, ce sont en principe ces derniers, parce que représentants de la personne morale, qui doivent agir en justice. Mais de toute évidence, aucun dirigeant n’irait engager une action en justice contre lui-même. C’est à ce titre qu’intervient l’action ut singuli, présente dans le Code civil à l’article 1843-5. Par cette action, un associé peut se voir reconnaître qualité pour agir au nom de la société dans laquelle il est actionnaire, contre le ou les dirigeants ayant porté atteinte à l’intérêt social de celle-ci et qui de toute évidence ne comptent pas engager une action contre … eux-mêmes  ! 

 

Question. La Haute juridiction s’est donc interrogée sur la portée de cette perte de qualité quant à la recevabilité de l’action en cours.

 

Focus. D’une part, auparavant, une partie de la doctrine et de la jurisprudence considérait que l’action ut singuli, en tant qu’action attitrée et exorbitante du droit commun, nécessitait que l’associé conserve sa qualité tout le long de l’instance car l’action ut singuli était rattachée aux droits sociaux de l’associé. Cette position était justifiée par une nécessité de limiter l’action ut singuli, en ce qu’elle confère un droit à l’associé qui est complètement dérogatoire, aux seuls titulaires effectifs des droits sociaux. Egalement, à cette interprétation stricte s’opposait une vision plus protectrice du droit d’agir, acquis au jour de la demande, et qui permettait d’éviter que des évictions soient opérées afin de faire échec à toute procédure.

D’autres part, concernant certaines actions attitrées, la Cour de cassation adopte la position inverse en retenant, depuis plusieurs années, qu’au contraire, la recevabilité de la demande s’apprécie bien au jour de l’introduction de la demande, qu’importe si, ultérieurement, l’associé a perdu sa qualité (en matière d’expertise de gestion : Cass. Com., 6 décembre 2012, n°04-10.287 ; en matière d’action en nullité social : Cass. Com., 4 juillet 1995, n°93-17.969).

 

Solution. La Cour de cassation censure l’arrêt d’appel au visa des articles 31 et 122 du code procédure civil et L.225-252 du code de commerce en énonçant que : « la qualité d'associé nécessaire à l'exercice de l'action ut singuli s'apprécie lors de la demande introductive d'instance, de sorte que la perte ultérieure de cette qualité est sans incidence sur la poursuite de l'action par celui qui l'a initiée ».

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Explications. C’est ainsi que l’arrêt étudié était particulièrement attendu en jurisprudence. En effet, par cette solution, la Cour de cassation opère un revirement de jurisprudence et unifie la procédure des actions attitrées (ut singuli, nullité, expertise de gestion). Autrement dit, il s’agit d’un alignement avec le principe, déjà bien ancré en matière de procédure civile, selon lequel la recevabilité de la demande s’apprécie au jour où elle est formée. Une position qui n’avait malheureusement pas été partagée par la cour d’appel de Paris (CA de Paris, 10 mars 2022, n°13/18511).

Plus encore, cette solution est opportune en ce qu’elle assure la sécurité de l’action ut singuli en protégeant le demandeur de certaines manœuvres, au cours de l’instance, de la part des dirigeants en cause ou d’autres actionnaires (éviction, exclusion …) visant à neutraliser une action dont le but est justement de protéger l’intérêt social et que la société bénéficie d’une réparation pour le préjudice subi. 

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Ouverture. Alors, que l’arrêt accuse une bonne réception dans l’ensemble, une partie de la doctrine reste critique. Selon elle, la solution retenue risque de porter atteinte au principe de la procédure civile selon lequel on agit en justice pour défendre son seul intérêt et que désormais l’action ut singuli permet à un tiers à la société d’influer le cours de sa vie.

Egalement, la doctrine a alerté sur les potentielles conséquences pour l’intérêt de la société d’un associé ayant engagé une action ut singuli puis perdu sa qualité en cours d’instance, et qui détient désormais des intérêts contraires à ceux de son ancienne société (ex : en cas de vengeance, rancœur envers d’anciens associés …).

 

En définitive, la souplesse adoptée par la Cour de cassation ne laisse guère indifférent quant à la dénaturation du caractère « attitré » de cette action.

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Par Yanis CHRID du pôle Droit Privé général 

Cass. Civ. 3e, 18 sept. 2025, n° 23-24.005

Cet arrêt rendu par la troisième chambre civile de la Cour de cassation réaffirme et précise les conditions dont la satisfaction justifie la suspension par le locataire du paiement des loyers en cas de manquement contractuel du bailleur, en écartant l’exigence d’une mise en demeure préalable.

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Faits. En l’espèce, une société a loué un local commercial pour une durée de 23 mois. Le contrat prévoyait qu’en cas de renouvellement du bail, le locataire devra verser une indemnité de pas-de-porte (somme due pour obtenir un nouveau bail commercial). À l’expiration du bail, le locataire est resté dans les lieux sans qu’un nouveau contrat ne soit signé et sans verser l’indemnité prévue. La société bailleresse a alors assigné le locataire en justice afin d’obtenir le paiement des loyers impayés et de l’indemnité de pas-de-porte. Le locataire a toutefois refusé de payer en cours d’instance, invoquant une exception d’inexécution en raison de manquements rendant l’exploitation du fonds difficile. Selon elle, la bailleresse avait manqué à son obligation de délivrance conforme, c’est-à-dire de fournir un local en bon état et apte à l’usage convenu.

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Précision. La mise en demeure s'entend d’une interpellation formelle établissant le manquement du bailleur. C'est l'acte par lequel le locataire (le créancier de l'obligation de délivrance) exige de son bailleur (le débiteur) qu'il exécute son obligation, à savoir fournir un local conforme à sa destination.

Procédure. La cour d’appel a affirmé qu’une mise en demeure était formellement nécessaire (à des fins probantes) pour faire jouer l’exception d’inexécution. La société locataire a formé un pourvoi en cassation.

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Moyens. Le locataire arguait à l’appui de son pourvoi qu’il n’était légalement pas tenu d’adresser une mise en demeure préalable et que l’on ne pouvait retenir cette condition pour se prévaloir de l’exception d'inexécution.

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Question. Un locataire peut-il refuser de payer les loyers sans mise en demeure préalable lorsque le bailleur manque à son obligation de délivrance ?

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Solution. La Cour de cassation a répondu par la positive et casse l’arrêt de la cour d’appel. Le simple manquement du bailleur à son obligation de délivrance suffit à justifier la suspension du paiement du loyer par le locataire. La cour d’appel ne pouvait exiger la mise en demeure préalable du bailleur alors que la loi ne le prévoyait pas, de sorte qu’elle a violé les articles 1184, dans sa rédaction antérieure à l’ordonnance du 10 octobre 2016, 1719 et 1728 du Code civil.

 

Commentaire. Le nouvel article 1219 du Code civil, réformant l’ancien article 1184, régissant désormais l’exception d'inexécution, ne prévoit aucune disposition quant à l’obligation ou non de mettre en demeure préalablement le débiteur pour pouvoir invoquer ce mécanisme. Demeurant un mode de preuve supplémentaire, il n’est plus essentiel au mécanisme susvisé, le locataire devra se tourner vers d’autres moyens de preuve. Ainsi, cet arrêt s’inscrit dans la continuité de la jurisprudence antérieure, qui avait déjà affirmé que la partie invoquant l’exception d’inexécution n’est pas tenue d’adresser une mise en demeure préalable à son cocontractant (Com., 27 janvier 1970, n° 67-13.764). En conséquence, conformément à cette jurisprudence et à l’article 1219 du Code civil, lorsqu’un contrat repose sur des obligations réciproques, chaque partie peut refuser d’exécuter sa propre obligation tant que l’autre n’exécute pas la sienne, sans qu’une mise en demeure soit nécessaire au préalable. En l’occurrence, l’obligation du bailleur de délivrance conforme n’était pas satisfaite (Article 1719 du Code civil). Il s'agit enfin de rappeler que le refus n’est qu’une mesure provisoire voire suspensive dans l’attente de l’exécution du contrat sur le fondement du principe de force obligatoire du contrat (Article 1103 du Code civil).

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Qu’en retenir ?

  • Mise en demeure : n’est pas exigée du locataire pour invoquer l’exception d’inexécution à l’égard du bailleur

  • Refus de paiement des loyers : celui-ci est totalement valable dès lors qu’il y a un manquement du bailleur à son obligation de délivrance conforme

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Par Mathis THEISEN et KERRON DEZERT du pôle Droit Privé général

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