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Les veilles du mois de Novembre

  • La prise de décision collective au sein d'une SAS : Décision du 15/11/24 n°23-16.670

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En principe, le régime juridique de la Société par Actions Simplifiée (SAS) offre une liberté contractuelle prononcée. Or, l’arrêt rendu en chambre plénière par la Cour de cassation, en date du 15 novembre 2024 (n° 23-16.670), a consacré une limite en matière d’adoption d’une décision collective votée en assemblée générale.

 

FAITS

 

Les associés d’une SAS ont décidé d’augmenter son capital social en émettant de nouvelles actions. La délibération a été adoptée, lors d’une assemblée générale extraordinaire, malgré une minorité de voix « pour » (46 %) et une majorité de voix « contre » (54 %). Cette adoption étonnante de l’augmentation de capital est pourtant conforme aux statuts de la SAS. Ces derniers prévoient en effet que les décisions collectives sont adoptées « à la majorité du tiers des droits de vote des associés ».

 

PROCÉDURE

 

Certains des associés ont assigné la SAS en annulation de la délibération adoptée. Malgré une censure, par la Cour de cassation, de la première décision d’appel validant la délibération, la cour d’appel de renvoi a rejeté une nouvelle fois la demande des associés.

 

La cour d'appel de renvoi soutient que l'article L. 227-9 du code de commerce permet aux associés d’une SAS de définir librement les conditions de prise des décisions collectives. Il s’ensuit que les statuts peuvent exclure les règles de majorité du vote d’une procédure d’adoption de telles décisions. La cour considère que ces conditions ne sont pas interdites par la loi, et qu’elles ne constituent pas une atteinte au droit de participation des associés.

 

Les demandeurs ont ensuite formé un pourvoi en cassation, et la juridiction suprême a renvoyé le litige devant son assemblée plénière.

 

PROBLÈME DE DROIT

 

Une minorité d’associés d’une SAS peut-elle valablement adopter une décision collective lorsque les statuts l’y autorisent ?

 

SOLUTION

 

La Cour de cassation refuse qu’une décision collective soit adoptée à la minorité des droits de vote. En effet, elle rappelle d’abord que les associés ont un droit de participation aux décisions collectives (art. 1844, al. 1er C. civ.) et que les clauses statutaires contraires à une disposition impérative sont réputées non écrites (art. 1844-10, al. 2 et 3 C. civ.). Ensuite, elle confirme que les décisions collectives des SAS sont déterminées par les statuts (art. L. 227-9, al. 1 et 2 C. com.).

 

En revanche, elle rejette l’autorisation faite aux associés d’une SAS d’exclure, au nom de la liberté contractuelle, le respect d’une règle de majorité du vote. En ce sens, les décisions collectives doivent être prises à la majorité des voix exprimées, et toute clause statutaire contraire est réputée non écrite. Ainsi, jugeant sur le fond, la Cour de cassation décide que la délibération adoptée en violation d’une règle de majorité doit être annulée. Il s’ensuit qu’elle casse et annule la décision d’appel.

 

PORTÉE

 

La liberté statutaire permet aux associés d’inventer les règles liées à la prise de décision collective en SAS. Généralement, ces décisions sont adoptées à la majorité des droits de vote des associés, mais la loi applicable aux SAS n’en précise pas son impérativité (art. L. 227-9 C. com.). In extenso, la liberté offerte aux associés d’une SAS aurait pu aller jusqu'à valider une prise de décision à l’aune d’autres modalités de vote, comme l’établissement d’une règle de minorité.

 

Au surplus, il existe déjà certaines règles pouvant porter atteinte au droit des majoritaires lors de la prise des décisions collectives. L’une d’elles repose dans l’émission d’actions de préférence au bénéfice d’un associé, ou d’une catégorie d’associés, lui conférant un droit de vote multiple. Ainsi, un associé minoritaire, ou un groupe d’associés minoritaires, peut asseoir ses volontés à l’encontre des majoritaires en assemblée générale.

 

Néanmoins, la Cour de cassation écarte toute possibilité d’échapper directement à la règle de majorité en fixant un seuil a minima, ce qui avait déjà été énoncé par sa chambre commerciale en 2022 (Cass. com., 19 janvier 2022, n° 19-12.696). En ce sens, aucune décision collective ne peut être valablement adoptée lorsqu’elle ne rassemble pas « en sa faveur le plus grand nombre de voix », et plus précisément lorsqu’elle « a été adoptée par un nombre de voix inférieur à la majorité des votes exprimés ». Cela permet, à juste titre, d’éviter que des décisions contradictoires soient adoptées, puisqu’à la fois, les partisans et les adversaires d’une résolution pourraient remplir simultanément les conditions d’adoption de ladite résolution. L'objectif du vote en assemblée est effectivement de départager les associés. Or, l’instauration d’une règle de minorité pourrait avoir pour effet d’accentuer les conflits au sein d’une société. En outre, cela permet aussi d’éviter qu’une minorité prévale sur la majorité en brimant le droit de participation des autres associés. Ce faisant, la sécurité juridique et l'équité entre associés sont protégées au détriment de la liberté contractuelle.

  • Décision du 16/10/24 : Découvertes archéologiques et droits du propriétaire et de l'État. 

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Dans un arrêt du 16 octobre 2024, la Cour de cassation clarifie la question de la propriété des découvertes archéologiques sur un terrain privé, en affirmant le principe de partage entre le propriétaire et l'État. Cette décision souligne l'importance des circonstances entourant la découverte.

 

Le propriétaire d'un terrain, voit deux personnes, découvrir en février 2011 un ensemble de deux cent soixante-dix-huit pièces de monnaie antique, remises au service régional d'archéologie. En octobre 2011, des fouilles archéologiques, autorisées par le propriétaire, permettent la découverte de trois amphores contenant vingt-trois mille quinze pièces supplémentaires. En 2020, le propriétaire assigne l'État pour obtenir la restitution de ces découvertes.

 

La cour d'appel d'Agen, par un arrêt du 11 janvier 2023, décide que les amphores et les pièces découvertes en octobre 2011 doivent être partagées entre et le propriétaire et l'État. Le propriétaire forme un pourvoi en cassation, soutenant que l'ensemble des découvertes constitue sa propriété exclusive.

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L’article 716 du code civil dispose dans son deuxième alinéa que « Le trésor est toute chose cachée ou enfouie sur laquelle personne ne peut justifier sa propriété, et qui est découverte par le pur effet du hasard. »

En l’espèce, les pièces découvertes en février 2011 ont été découverte grâce à des fouilles archéologiques. 

Par conséquent, la cour d'appel a considéré que la découverte de pièces en février 2011 n'était pas fortuite, car elle résultait de recherches délibérées. 

Tandis que l’ancien article L. 531-11 du code du patrimoine disposait que « le mobilier archéologique issu des fouilles exécutées par l’État lui est confié pendant le délai nécessaire à son étude scientifique. Au terme de ce délai, qui ne peut excéder cinq ans, la propriété des découvertes de caractère mobilier faites au cours des fouilles est partagée entre l’État et le propriétaire du terrain suivant les règles du droit commun. L’État peut toujours exercer sur les objets trouvés le droit de revendication prévu aux articles L. 531-5 et L. 531-16 ». 

Elle a donc conclu que les découvertes ultérieures, bien que réalisées sous l'égide de l'État, devaient être partagées.

 

Le propriétaire soutient que les découvertes de février et octobre 2011 forment un ensemble unique, relevant de sa propriété exclusive, et conteste le partage imposé par la Cour d'appel.

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Qui, entre le propriétaire du terrain et l'État, est titulaire de la propriété des découvertes archéologiques faites sur le terrain du propriétaire ?

 

Décision de la Cour de cassation : La Cour de cassation rejette le pourvoi du propriétaire, confirmant le partage des découvertes entre le propriétaire du terrain et l'État.

 

La Cour de cassation s'appuie sur les articles L. 531-9 et L. 531-11 du code du patrimoine, précisant que les découvertes faites lors de fouilles exécutées par l'État sont partagées, sauf en cas de découverte fortuite. Elle souligne que la première découverte n'était pas fortuite, ce qui justifie le partage des découvertes ultérieures.

 

Cette décision réaffirme le principe de partage des découvertes archéologiques entre le propriétaire du terrain et l'État, en fonction des circonstances de la découverte, et précise les conditions dans lesquelles ce partage s'applique, renforçant ainsi la protection du patrimoine culturel tout en respectant les droits des propriétaires fonciers.

 

À noter que depuis l’entrée en vigueur de la loi du 7 juillet 2016, les biens meubles découverts sont présumés appartenir à l’État dès leur mise au jour au cours d’une opération archéologique. Depuis l’entrée en vigueur de cette loi, il n’existe donc plus de partage de la propriété entre le propriétaire du fonds et l’État. Cependant, étant donné que les découvertes datent de 2011, la loi du 7 juillet 2016 ne s’applique pas. 

  • Affaire CHANEL/JONAK - Propriété intellectuelle

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Pour rappel le parasitisme économique est l’ensemble des comportements par lesquels un agent économique s'immisce dans le sillage d'un autre afin de tirer profit, sans rien dépenser, de ses efforts et de son savoir-faire. Celui ci se distingue de la contrefaçon qui se définit comme la reproduction, l’imitation ou l’utilisation totale ou partielle d’un droit de propriété intellectuelle sans l’autorisation de son propriétaire. Le parasitisme en lui même ne viole pas toujours de droit exclusif de propriété intellectuelle mais constitue un comportement déloyal.

 

Cette distinction se retrouve dans le jugement de la Cour d'appel de Paris, Pôle 5 chambre 1, 16 octobre 2024, n° 22/19513.

 

Dans cet arrêt du 16 octobre 2024, les sociétés CHANEL poursuivent les sociétés JONAK pour parasitisme, accusant celles-ci de commercialiser des chaussures rappelant les modèles de CHANEL. Après une condamnation en première instance ordonnant notamment la cessation de vente de certains modèles et des dommages et intérêts pour CHANEL, les deux parties ont fait appel. CHANEL demande des sanctions plus sévères et une indemnisation augmentée, tandis que JONAK conteste le jugement, invoquant la prescription et une demande reconventionnelle pour concurrence déloyale.

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Afin de déterminer s’il y a parasitisme économique en droit des marques, les juges du fonds comparent les modèles de produits entre eux par une analyse des matériaux, de l’apparence et de la couleur du produit. Au-delà de l’aspect technique, ils s’appuient également sur la faculté du consommateur moyen à assimiler 2 ou plusieurs produits de marques différentes.

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Les sociétés JONAK à payer aux sociétés CHANEL sont condamnées solidairement à titre de dommages et intérêts en réparation des actes de parasitisme : la somme de de 150 000 € au titre de leur préjudice économique, et celle de 30 000 € au titre de leur préjudice moral, + cessation de la commercialisation des chaussures litigieuses. La société Jonak a 1 mois pour retirer ces modèles du marché, sous peine d’une astreinte de 1000€ par jour de retard. 

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Cet arrêt renforce la protection des marques de luxe en matière de concurrence déloyale, en élargissant la notion de parasitisme économique. Il précise que même des imitations subtiles, sans contrefaçon directe, peuvent être sanctionnées si elles profitent de la réputation d'une marque prestigieuse. Cette jurisprudence pourrait dissuader les marques de mode de s’inspirer des designs de marques de luxe et encourager ces dernières à surveiller et protéger activement leurs éléments distinctifs.

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Il est difficile pour les juges de faire la part entre parasitisme et inspiration libre. De plus cette nuance est source d’insécurité juridique auprès des petit créateurs par peur d’être poursuivis par de grandes entités et laissés face à une défense parfois très coûteuse.

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Une veille rédigée par le pôle Propriété intellectuelle.​​​​​​​

  • "L’Autorité du Principe d’Estoppel dans l’Arbitrage : Conséquences d’une Contestation Contradictoire (Cour d’appel de Paris, 27 juin 2024)"

Le principe d’estoppel, issu du droit procédural anglais, interdit à une partie de se contredire au détriment d’un tiers. Consacré en droit français par l’arrêt d’assemblée plénière du 27 février 2009, il joue un rôle clé dans le cadre de l’arbitrage, où les positions procédurales doivent respecter une certaine cohérence. Cet arrêt de la Cour d’appel de Paris, rendu le 27 juin 2024, illustre parfaitement ce principe dans un litige relatif à l’exécution d’une sentence arbitrale.

 

Dans cette affaire, le différend oppose une société française, Moulin de la Courbe, à une société allemande, P. Krucken Organic, sur la livraison de sarrasin prévue par un contrat de vente. Ce contrat contenait deux clauses compromissoires : l’une désignant la Chambre d’arbitrage international de Paris (CAIP), l’autre une clause d’arbitrage allemande, dite Schiedsgericht.

 

Suite à un problème de livraison, Moulin de la Courbe saisit la CAIP en juin 2022. P. Krucken Organic conteste la compétence de ce tribunal arbitral en invoquant la clause allemande. Malgré cette objection, le tribunal arbitral de la CAIP, par une sentence partielle en décembre 2022, se déclare compétent pour trancher le litige.

 

P. Krucken Organic forme alors un recours en annulation devant la Cour d’appel de Paris, arguant une nouvelle fois de l’incompétence du tribunal arbitral. Moulin de la Courbe oppose à ce recours une fin de non-recevoir fondée sur le principe d’estoppel, affirmant que Krucken s’est contredite en acceptant initialement la compétence du tribunal arbitral avant de la contester.

 

Dans sa décision, la Cour d’appel rejette le recours de Krucken, considérant que son comportement procédural est incohérent et préjudiciable à l’autre partie. S’appuyant sur l’article 1466 du Code de procédure civile, la Cour rappelle que « la partie qui, en connaissance de cause et sans motif légitime, s'abstient d'invoquer en temps utile une irrégularité devant le tribunal arbitral est réputée avoir renoncé à s'en prévaloir. »

 

Cette décision confirme également les enseignements de la jurisprudence Golshani (Cour de cassation, 1ère chambre civile, 3 février 2010), où il a été jugé qu’une partie ayant saisi un tribunal arbitral ne peut ensuite contester sa compétence sans motif légitime.

Une portée décisive pour la procédure arbitrale

 

Par cet arrêt, la Cour d’appel renforce l’autorité du principe d’estoppel dans l’arbitrage, en rappelant l’importance de la cohérence des positions procédurales. Les parties sont ainsi incitées à agir avec prudence et bonne foi dans leurs choix de recours, sous peine de voir leurs prétentions jugées irrecevables. Cette exigence vise à garantir la sécurité juridique et à prévenir tout opportunisme procédural.

Enfin, cet arrêt illustre une évolution notable du droit français vers une intégration plus marquée des principes issus des traditions juridiques internationales, tout en réaffirmant les spécificités de l’arbitrage comme mode de résolution des différends.

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Une veille rédigée par le pôle Droit international & Arbitrage.

  • La reconnaissance en France des Filiation issues de la Gestion Pour Autrui à l'étranger - Cour de cassation, deux arrêts publiés au bulletin, 02 octobre 2024

En France, la gestation pour autrui (GPA) demeure interdite en vertu de l’article 16-7 du Code civil. Toutefois, la reconnaissance des filiations d’enfants nés par GPA à l’étranger reste une question juridique complexe. Par deux arrêts rendus le 2 octobre 2024, la Cour de cassation a précisé les conditions de reconnaissance en France des décisions étrangères établissant une filiation par GPA, tout en réaffirmant les principes fondamentaux du droit français.

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Des faits distincts, une problématique commune : 

 

Dans la première affaire (n° 22-20.883), un couple homosexuel résidant en France avait eu recours à une GPA au Canada, où la justice locale avait reconnu les deux hommes comme les pères légaux de l’enfant. Dans la seconde affaire (n° 23-50.002), un autre couple avait sollicité une GPA en Californie, où la filiation des parents avait également été établie. Les deux couples avaient introduit des demandes d’exequatur en France, visant la reconnaissance et l’exécution des décisions étrangères.

Deux décisions divergentes en appel

Dans le premier cas, la cour d’appel de Paris avait refusé l’exequatur en 2022, estimant que la décision canadienne était insuffisamment motivée. Le couple s’était alors pourvu en cassation. Dans le second cas, la même cour d’appel avait accordé l’exequatur en janvier 2023, mais avait assimilé la décision californienne à une adoption plénière, suscitant un pourvoi en cassation du procureur général.

Les réponses de la Cour de cassation

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Première affaire (n° 22-20.883) :

 

​La Cour de cassation rejette le pourvoi du couple canadien. Elle souligne que la décision canadienne ne répondait pas aux exigences minimales pour l’exequatur en droit français. La Cour insiste sur la nécessité de mentionner explicitement, dans le jugement ou ses annexes : 

  • La qualité des parties ;

  • Le consentement des parties à la convention de GPA ;

  • Le consentement des parties aux effets de la convention sur la filiation de l’enfant.

 

Seconde affaire (n° 23-50.002) : 


La Cour casse la décision d’appel qui avait assimilé la filiation établie en Californie à une adoption plénière. Elle précise que la reconnaissance d’une filiation étrangère revêtue de l’exequatur ne saurait être confondue avec les effets d’une adoption. En conséquence, la Cour réaffirme que la filiation établie par une décision étrangère doit être reconnue en France, mais dans les limites strictes de son fondement initial.

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Un équilibre entre interdiction et protection

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Ces arrêts mettent en lumière l’insécurité juridique entourant la situation des enfants nés par GPA à l’étranger, dans un contexte où la France interdit cette pratique. La Cour de cassation réaffirme cependant que, malgré cette interdiction, il est essentiel de protéger les droits des enfants et des familles concernées.

Un apport juridique important

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En clarifiant les conditions de reconnaissance des filiations établies à l’étranger, la Cour contribue à renforcer la sécurité juridique. Elle exige des décisions étrangères une motivation rigoureuse, incluant :

  • La qualité des parties mentionnées dans le jugement ;

  • Le consentement explicite à la GPA ;

  • Le consentement aux effets de la convention sur la filiation.

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En conclusion, ces décisions réitèrent la position de la France contre la GPA tout en conciliant ce principe avec les droits des enfants, en conformité avec l’intérêt supérieur de ces derniers.

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Une veiller rédigée par Dina DADSI - Pôle droit des personnes et de la famille.

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